Quelques ouvrages sont consacrés à ce sujet, dont celui de
Mr Joël Thoraval
« Pensée et action sociale de l'Église »
A l’ exception de quelques spécialistes et de certaines associations la
DSE reste pour bon nombre d’entre nous «une grande inconnue».
- Pour certains, la DSE en effet est peu connue car elle est difficile d’accès : 1000 pages de textes, une histoire qui s’étire sur plus d’un siècle (de 1891 à aujourd'hui) avec 7 Papes et le Concile Vatican II. Il faut le dire, de rares références dans les homélies des Offices dominicaux. Il y a là un large défaut de communication.
- Pour d’autres la DSE est connue mais mal comprise. « Doctrine » ? un mot qui date. Trop directif . «Sociale» ? n’ est–ce pas trop engagé ?
Les Sacrements, la Parole sont privilégiés et le Service de la Charité plutôt circonscrit.
- Pour d’autres enfin les réserves sont encore plus grandes et se situent au niveau des principes. Est–ce bien à l’Église en tant que telle à s‘engager dans le « social » ? Sa vocation n’est-elle pas de nature essentiellement spirituelle et morale sans qu’il y ait nécessité pour elle de s’exprimer sur les plans politique, économique, social, environnemental et international.
Je me suis attaché à répondre à ces questionnements dans mon dernier livre « Pensée et action sociales de l’Église » (Editions Parole et Silence. avril 2014), à partir des textes eux–mêmes, en exposant l’histoire de la DSE, ses fondements, sa mise en pratique, ses acteurs et diverses annexes pour faciliter la compréhension de l’ensemble.
Aujourd'hui, je vous invite à approfondir cette « Doctrine » en distinguant :
- son histoire
- son contenu
I Histoire de la DSE
Donc, tout d’abord, son histoire.
En fait il ne s’agit absolument pas de faire un « historique » de la DSE mais de bien comprendre que le contenu actuel de celle-ci est le fruit d’une adaptation constante à l’évolution rapide et profonde du monde contemporain de la fin du XIXe siècle à aujourd'hui.
A l‘origine, à partir de la fin du XIXe siècle, le mot « social » est réservé par Léon XIII aux problèmes concernant le monde du travail, la classe ouvrière. Aujourd'hui la Doctrine dite «sociale» s’est élargie à l’ensemble des questions posées par la «société humaine», la «communauté humaine», le «genre humain» selon les mots mêmes utilisés par Gaudium et Spes lors de Vatican II repris ensuite par Jean-Paul II et Benoit XVI puis aujourd'hui par le Pape François.
A/ Les origines : les prémices de la DSE
Comment et pourquoi s’est opérée cette évolution ?
Fin XVIIIe siècle et tout le XIXe siècle le monde se transforme à un rythme accéléré : révolutions politiques (États-Unis en 1787. France en 1789. Révolutions de 1830 et 1848), révolution économique (industrialisation, commerce, banques, transports et essor du capitalisme libéral), révolution intellectuelle (romantisme, socialisme, libéralisme), révolution scientifique et technique, révolution sociale (développement du prolétariat ouvrier).
Déjà des chrétiens réagissent : en 1842 Jeanne Jugan à Rennes et les Petites sœurs des pauvres. A Lyon le Père Chevrier au Prado : accueil des pauvres. A Turin Jean Bosco : accueil des jeunes et des apprentis. En Mayenne Léon Armel : entreprises et ouvriers. A Mulhouse Jean Dolfuss : habitat . Création des jardins ouvriers.
Toutefois l’Église officielle dans un premier temps, jusqu'à la fin des années 1870, au niveau du Vatican notamment, n’évolue pas et se montre même parfois hostile à tout changement .
Quelques exemples :
- 1832 .Lettre encyclique «Mirari vos » GrégoireXVI « c’est le comble de l’absurdité et de l’outrage envers l'Église de prétendre qu’une restauration et qu’une régénération lui sont devenues nécessaires pour assurer son existence et ses progrès. Que veulent ces novateurs téméraires».
« Liberté de la presse, liberté la plus funeste ,liberté exécrable ...»
- 1849 « Nostis et Nobiscum » . Pie IX «Que nos pauvres se souviennent, d’après l’enseignement de Jésus-Christ Lui même, qu’ils ne doivent point s’attrister de leur condition; en effet, dans la pauvreté, le chemin du salut leur est préparé plus facile, pourvu toutefois qu’ils supportent patiemment leur indigence et qu’ils soient pauvres, non seulement matériellement, mais encore en esprit » (Réf à Mathieu V . Les Béatitudes !).
- 1864 «Quanta cura». Pie IX. Il renouvelle ses appréciations particulièrement critiques sur les principes nouveaux de la société du XIXe siècle qu’il qualifie de «doctrine perverse», de «monstruosités extraordinaires, de peste» à savoir la séparation de l'Église et de l'État, de la liberté de conscience et de culte.
- 1864 Syllabus, recueil de 80 propositions «d’erreurs» du monde moderne selon Pie IX.
Exemple : la 80e proposition considère comme une erreur de dire que «le Pontife Romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne. »
Pourtant, en dépit de ces positions officielles au niveau du Vatican, différents groupes chrétiens et quelques personnalités ecclésiastiques prennent de plus en plus conscience de la misère ouvrière .
Notamment («chrétiens sociaux» en Allemagne, Autriche, Suisse; «catholiques sociaux» en France : La Tour du Pin, Albert de Mun, famille Harmel, et associations des patrons du Nord; École d’Angers avec Mgr Freppel; Mgr Kettler en Allemagne marqué par le socialiste Lassal; le Cardinal Manning à Manchester; le Cardinal Gibbons à Baltimore; l’Union de Fribourg (groupe actif de laïcs et de clercs) : réflexion de fond sur la question sociale, coordonnant les groupes nationaux de Rome et de Francfort).
B/ La DSE de la «première génération» consacrée à la condition ouvrière et aux Idéologies politiques.
a) 1878 – 1903 : Léon XIII.
Enfin en 1878, Mgr Pecci, évêque très brillant de Pérouse succède à Pie IX sous le nom de Léon XIII. Le nouveau Pape est totalement acquis aux idées nouvelles.
Il pose alors l’acte fondateur de la DSE en 1891 par l’encyclique Rerum novarum consacrée à «la condition des ouvriers » et à l’examen des réalités économiques de l’époque : la propriété privée, la vie de l’entreprise, le système économique, les corporations, les responsabilités des États. Il affirme que l’Église a le droit et le devoir de s’exprimer sur les questions sociales. Vie sociale et Évangile sont liés.
La Doctrine sociale à ses débuts concerne donc exclusivement «la condition des ouvriers».
C’est ce que l’on peut appeler la «Doctrine sociale» de la première génération par rapport aux années ultérieures ou le champ de cette Doctrine ne va pas cesser de s’élargir.
Précisons qu’à l’époque Rerum novarum fut accueillie avec réserve par de nombreux catholiques et par contre vivement appuyée par quelques-uns.
b) 1922- 1939 : Pie XI
Avec Pie XI on assiste à un approfondissement de la DSE qui passe de «la condition des ouvriers » à «l’instauration d’un nouvel ordre social », c’est à dire à l’examen des différents systèmes économiques et sociaux. (1931. Quadragesimo anno ). On note également un élargissement au domaine politique en stigmatisant avec une extrême vigueur les idéologies nazies et bolcheviques. (1937 . Mit brennender Sorge et Divini Redemptoris).
C/ L’âge d’or de «la deuxième génération» de la DSE :
du «social» à la «société».
a) 1945 -1960 : les transformations du monde au lendemain delà deuxième guerre mondiale
Transformations sociales (assurances et sécurité sociale, éducation et instruction, promotion sociale mais déséquilibres entre les secteurs , les régions , les pays, les continents).
Transformations techniques, scientifiques, économiques(conquête de l’espace, énergie nucléaire, automation, développement des transports).
Transformations politiques (fin du régime colonial, indépendance des peuples d’Asie et d’Afrique, développement d’un réseau d’organisations internationales).
Jean XXIII dans Mater et Magistra parle désormais de la «socialisation» de la société ( M M.59).
De ce fait l’Église donne un autre sens au mot social : on passe de la notion étroite de «la condition ouvrière» à la notion très élargie de «société».
b) 1960 -1970 : un séisme spirituel de grande ampleur.
Les acteurs : les pontificats de Jean XXIII (1958 – 1963), Paul VI (1963 – 1978) et le Concile Vatican II (1962-1965).
Les textes : Encycliques Mater et Magistra (1961) et Pacem in terris (1963) de Jean XXIII; Lumen Gentium (1964) et Gaudium et spes (1965) du Concile Vatican II; Ecclesiam suam (1964), Populorum progressio (1967) et Octogesima adveniens (1971) de Paul VI.
Les orientations nouvelles : La des n’est plus limitée au monde du travail et aux idéologies subversives elle devient comme le précise Gaudium et spes : «la Doctrine chrétienne sur la société humaine» (GS 23 – 2). Ce texte fait 49 fois référence à la DSE mais seulement 7 fois aux textes antérieurs à 1950 et 42 fois aux textes publiés à partir de 1960. Il y a bien là une inflexion cruciale. On passe du «social» au sens étroit, à la «société» au sens large.
Tout ceci est confirmé :
- en 1992 par la publication du Catéchisme de l'Église Catholique (Jean-Paul II).
- en 2008 par le Compendium de la DSE.
C'est dire leur actualité.
c) Les deux nouveautés fondamentales
- L'Église se proclame accueillant à l'ensemble de la société humaine.
Elle se déclare «solidaire de la famille humaine», «solidaire du genre humain», «proche» de tous les hommes et pas seulement des chrétiens. Elle affirme qu’il faut renouveler «la société humaine» et «l’homme» dans leur totalité.
Elle veut «faire route avec toute l’humanité et partager le sort terrestre du monde». Elle se présente «comme le ferment, l’âme de la société humaine». Elle veut «humaniser toujours plus la famille des hommes et son histoire». Elle met en garde : «que l’on ne crée pas d’opposition artificielle entre les activités professionnelles et sociales d’une part, la vie religieuse d'autre part».
«Que les chrétiens se réjouissent de pouvoir mener toutes leurs activités terrestres en unissant dans une synthèse vitale tous les efforts humains, familiaux, professionnels, scientifiques, techniques avec les valeurs religieuses». «La question sociale est devenue mondiale… Les peuples de la faim interpellent aujourd'hui de façon dramatique les peuples de l’opulence». «La vie en société doit être considérée comme une réalité d’ordre spirituel»
- L‘Église affirme la vocation sociale de l’homme dans le monde d’aujourd'hui.
«L’homme de par sa nature profonde est un être social, et, sans relation avec autrui, il ne peut vivre ni épanouir ses qualités». (GS 12 4).
«Le principe essentiel de la DSE catholique est que l’homme est le fondement, la cause et la fin de toutes les institutions sociales» (MM 219).
«Le développement intégral de l’homme ne peut aller sans le développement solidaire de l’humanité» ( PT 43 ).
«Le caractère social de l’homme fait apparaitre qu’il y a interdépendance entre l’essor de la personne et le développement de la société elle-même». «La personne humaine, de par sa nature même, a absolument besoin d’une vie sociale» (GS 25).
«L’initiative des chrétiens laïcs est particulièrement nécessaire lorsqu‘il s'agit de découvrir, d’inventer des moyens pour imprégner des réalités sociales, politiques, économiques, les exigences de la doctrine et de la vie chrétienne»
(Catéchisme de l'Église catholique 899).
D/ Depuis 1980 : épanouissement des principes posés par le Concile, Jean XXIII et Paul VI
a) 1978 -2005 : Jean-Paul II
Évolution du monde. Rivalités Est-Ouest, débat sur le tiers-mondisme, fossé Nord-Sud, dépenses d'armement, terrorisme, réfugiés, sous-emplois extrême pauvreté, dette internationale, chute du mur de Berlin et attentat de 1981 contre Jean-Paul II.
Textes de Jean-Paul II : Rédemptor hominis (1979), Laborem exercens (1981), Sollicitudo rei Socialis (1987), Centesimus annus (1991).
Les thèmes : dans le droit fil de Vatican II
les thèmes traités concernent la solidarité, le travail, le développement, la justice et la miséricorde, les droits de l’homme.
L’ensemble est articulé au service de la «nouvelle évangélisation».
b) 2005 – 2013 : Benoit XVI
Le début du XXIe siècle est marqué par de graves disparités économiques et sociales dans le monde, par une crise économique et financière internationale et par des tensions religieuses et raciales. Une dominante : la mondialisation.
Benoit XVI intègre ces données nouvelles dans deux encycliques : Deus Caritas est et Caritas in Veritate. Il spiritualise le message de la Doctrine.
c) Depuis son élection en juin 2013 le Pape François a publié deux textes : Lumen fidei et Evangeli Gaudium. Il insiste sur la dimension sociale de l’évangélisation et précise les interfaces entre la foi, la charité, l’espérance et la fraternité dans la perspective du respect de la «dignité de la personne», de la «famille» et du «bien commun».
II Contenu de la DSE
A/ La personne humaine et le respect de sa dignité
Au cœur de la DSE comme l’a souligné Vatican II il y a la relation de l’homme avec Dieu au sein de la communauté humaine. Dans cette dernière l’homme n’est pas quelque chose mais quelqu‘un, une personne, homme ou femme, créé à l’image de Dieu c’est à dire à l’image des Trois Personnes de la Sainte Trinité, le Père, le Fils et l’Esprit unis dans l’Amour.
A ce titre l’homme est donc une personne, une personne humaine par rapport à Dieu et par rapport à tous les autres hommes également personnes humaines. La personne humaine absorbe donc sans les supprimer d’autres appellations : le prochain, le frère, l’autre , autrui …
Par contre elle exclut le mot individu car l’individualisme conduit au repli sur soi au mépris de la communauté humaine. Elle a donc un prix inestimable, d'où la nécessité absolue du respect de sa dignité, d’origine divine, transcendante.
Du fait de cette éminente responsabilité, la personne humaine en effet ne doit pas être considérée comme un simple élément, «une molécule de l’organisme social» comme l’indique Centesimus annus (Jean-Paul II).
Elle ne doit pas être broyée dans les idéologies réductrices. Au contraire le juste exercice de la liberté dans la vérité exige des conditions ambiantes précises d’organisation économique, sociale, juridique, politique, culturelle, variant selon les lieux et les époques et dont précisément la DSE est garante.
Pacem in Terris et Mater et Magistra élargiront le principe du respect de la dignité de la personne humaine à celle des nations et des peuples et sous certaines réserves Jean XXIII a considéré que la Déclaration universelle des droits de l’homme a marqué un pas vers l’établissement d’une organisation juridico-politique de la communauté mondiale.
B/ Comment assurer avec efficacité le respect de la dignité de la personne humaine
A cette fin la DSE propose une architecture ambitieuse et cohérente de la société civile.
a) Deux objectifs : «la destination universelle des biens» et «la promotion du bien commun».
La destination universelle des biens est définie de la manière suivante par Gaudium et spes (ch III-69) : «Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la Création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice inséparable de la Charité».
Donc : équité, justice, charité. Ce principe n’est pas seulement un droit positif de nature juridique lié aux contingences historiques, mais un droit naturel, inscrit dans la nature de l’homme. Ce droit est prioritaire par rapport à toute intervention humaine sur les biens.
Il a une valeur normative et morale. Conséquence forte : il pèse «une hypothèque sociale sur le droit de propriété».
Le deuxième objectif est celui de la promotion du «bien commun» que GS (20 – 1) définit ainsi : «l’ensemble des conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée».
Il faut donc rendre accessible à l’homme tout ce dont il a besoin pour mener une vie vraiment humaine par exemple : nourriture, vêtement, habitat, droit de choisir librement son état de vie, fonder une famille, droit à l’éducation, au travail, au respect, à une information convenable, droit d’agir selon la droite règle de sa conscience, droit à la sauvegarde de la vie privée et à une juste liberté, y compris en matière religieuse.
Toutes ces précisions sont prescrites par GS au paragraphe (22- 2).
Cette recherche du «bien commun», dans le cadre de la destination universelle des biens, doit se déployer à trois niveaux : individus et corps intermédiaires (par exemple les relations capital travail) pouvoirs publics et communauté politique (législation et conventions) et communauté internationale (réfugiés, migrants, alimentation, santé…).
b) Pour atteindre ce double objectif la DSE pose trois principes : subsidiarité, solidarité et participation :
- le principe de subsidiarité, afin de protéger le plein épanouissement de la personne humaine des excès de l’individualisme et de l’autoritarisme des pouvoirs publics. Dans la Cité ce qu’un niveau inférieur peut gérer harmonieusement ne doit pas être traité par un niveau supérieur. Ce principe de philosophie sociale assure l’équilibre entre l’individu, la famille, les groupes sociaux et les collectivités publiques nationales et internationales.
- le principe de solidarité qui complète le principe de subsidiarité pour compenser les disparités existant dans le monde, souvent fruits pervers des «structures de péché» dénoncées par Jean-Paul II. La solidarité est un principe social qui permet de transformer en «structures de solidarité» les «structures de péché». C’est aussi un principe moral et non pas un sentiment de compassion vague ou d’attendrissement superficiel.
- enfin le principe de participation : pour que la subsidiarité et la solidarité fonctionnent il faut que le citoyen, comme individu ou en association, directement ou au moyen de représentants, vivifie la vie culturelle, économique, sociale, politique de la communauté civile. Paul VI dans Octogésima Adveniens est à cet égard cinglant et toujours d’actualité : «que chacun s’examine pour voir ce qu’il a fait jusqu‘ici et ce qu'il devrait faire. Il ne suffit pas de rappeler des principes, d’affirmer des intentions, de souligner des injustices criantes…» (OA 48).
c) «Valeurs de référence» : Vérité, Liberté, Justice et Charité
Enfin pour mettre en œuvre les trois principes de subsidiarité, de solidarité et de participation encore faut-il que les chrétiens s’inspirent de ce que la DSE appelle des «valeurs de référence», au nombre de quatre.
- La Vérité : elle est à la base de l’ordre social. Son contenu est gravé dans la conscience de la personne humaine car il émane de «la loi naturelle et divine» : aimer, accomplir le bien, respecter en toute circonstance la dignité de la personne humaine. (développé notamment par Benoit XVI dans Caritas in Veritate)
- La Justice : elle tend vers le respect effectif des droits de la personne humaine et l’accomplissement loyal des devoirs au niveau des personnes et des peuples. Elle consiste à donner au prochain ce qu’il lui est dû.
- La Liberté : elle est en l’homme un signe privilégié de l’image divine et doit s’exercer dans le respect de la Vérité et de la Justice.
- La Charité : elle est le critère suprême et universel de l’éthique sociale. Seule la charité peut animer et modeler l’action sociale en direction de la justice et de la paix. On est là au cœur de la mise en œuvre de l'Évangile dans la société contemporaine.
C / La mise en pratique
a) L'Église
L'Église n’entre pas dans les questions techniques; elle n’a pas de système idéologique clé en main; sa mission n’est pas d’ordre politique, économique et social; elle n’impose pas. Mais elle annonce le Christ Rédempteur, elle proclame l'Évangile, elle fait référence à un humanisme pleinier qui libère tout ce qui opprime l’homme et qui assure le développement intégral de tout l’homme et de tout homme.
C’est tout l’objet de la DSE. Mais les papes ont aussi appelé de manière pressante les membres du clergé pour faire connaitre et mettre en œuvre la Doctrine sociale. Formation dans les séminaires, évocation dans les célébrations sacramentelles, accompagnement des fidèles et des mouvements engagés dans la vie sociale et politique, catéchèse, préparation au catéchuménat et homélies…
Sur le terrain on peut regretter le manque d’initiative dans ce sens.
b) «Les fidèles laïcs»
Lumen Gentium donne une définition large et tonifiante du «fidèle laïc» : «le laïc chrétien est incorporé au Christ par le baptême, intégré au peuple de Dieu, participant à sa manière à la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ en exerçant dans l'Église et dans le monde la mission qui est celle de tout le peuple chrétien» (LG 31).
Dans l’expérience du croyant, rappelle Jean-Paul II : «il ne peut y avoir deux vies : d’un côté la vie qu’on nomme spirituelle avec ses valeurs et ses exigences, et de l’autre la vie dite «séculière» c’est à dire la vie de famille, de travail, de rapports sociaux, d’engagement politique, d’activités culturelles». Cela exige de la part de chaque laïc un appel fort au «discernement », au recours à la formation et à un engagement dans l’action.
c) «Les hommes de bonne volonté»
Les différentes encycliques depuis le Concile évoquent également «les hommes de bonne volonté», non croyants, mais ayant foi en l’homme. Les divergences n’excluent pas les rencontres. Quadragesimo anno déclare : «Qu’ils s’unissent donc, tous les hommes de bonne volonté». Gaudium et spes déclare : «le monde moderne apparait à la fois comme puissant et faible, capable du meilleur et du pire, et le chemin s'ouvre devant lui de la liberté ou de la servitude, du progrès ou de la régression de la fraternité ou de la haine. GS 9-4)
Conclusion
En conclusion rappelons que la DSE, depuis Vatican II, affirme que l'Église d’aujourd’hui se veut accueillante à l’ensemble de la société humaine et que l’homme a dans le monde une vocation sociale. L a DSE n’a donc plus seulement une dimension «sociale» au service de la «condition ouvrière» mais une vocation universelle concernant la société dans son ensemble.
Par ailleurs au sein de la société l'Église affirme que l’homme n’est pas quelque chose mais quelqu‘un, une personne humaine, créée à l‘image de Dieu, c’est à dire à l’image des Trois Personnes de la Sainte Trinité. A ce titre le respect de la dignité de toute personne humaine est une absolue priorité. L'Église, propose donc un cadre cohérent de pensée et d’action qui constitue le cœur de sa « Doctrine » :
Deux objectifs : la destination universelle des biens et le bien commun; trois principes : subsidiarité, solidarité, participation; quatre valeurs de référence : Vérité, Liberté, Justice, Charité.
Alors me direz-vous, dans ce cadre que pouvons nous faire ?
A mon avis :
- au niveau individuel : dans la perspective de Diaconia 2013 tendre vers un équilibre constant entre la Parole, les Sacrements et le Service c’est à dire la Charité «valeur clé de référence» de la DSE.
- au niveau collectif : participer à des actions de formation et à des engagements dans la vie associative.
- au niveau global : être «un citoyen du monde» intégrant les moyens modernes d’informations, l'exercice des droits politiques, économiques et sociaux, l’engagement dans la vie de la Cité au sens le plus large.
Et si certains jours la tâche vous paraît trop difficile vous pourrez toujours vous réconforter en vous référant au Psaume 85, 5e strophe :
Amour et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s’ embrassent;
Vérité germera de la terre, Et des cieux se penchera la Justice.
Article de Mr Joël Thoraval sur le site Aleteia : ( Clic sur image )
5.L’ensemble s’appuie sur quatre valeurs de référence qui donnent le « souffle » nécessaire à la mise en œuvre des objectifs et des principes de la DSE : les valeurs de vérité, de liberté, de justice et de charité.
La vérité
La vérité est à la base de l’ordre social. Son contenu est gravé dans la conscience de la personne humaine, car il émane de « la loi naturelle et divine » : aimer, accomplir le bien, respecter en toutes circonstances la dignité de la personne humaine (développée notamment par Benoît XVI dans Caritas in veritate)
La justice
La justice tend vers le respect effectif des droits de la personne humaine et l’accomplissement loyal des devoirs au niveau des personnes et des peuples. Elle consiste à donner au prochain ce qui lui est dû.
La liberté
La liberté est en l’homme un signe privilégié de l’image divine et doit s’exercer dans le respect de la vérité et de la justice.
La charité
La charité est le critère suprême et universel de l’éthique sociale. Seule la charité peut animer et modeler l’action sociale en direction de la justice et de la paix. On est là au cœur de la mise en œuvre de l’Évangile dans la société contemporaine.
6.Armée de ce cadre doctrinal fondateur, réfléchi et cohérent, la DSE s’est exprimée avec force sur un certain nombre de réalités pratiques essentielles : la famille, le travail, l’économie, le développement, l’écologie, la communauté politique, la communauté internationale, la paix, les droits de l’homme, la culture, la morale et la civilisation.
La famille
Institution humaine de nature divine, la famille est au cœur de l’enseignement social qui rappelle sans relâche ses fondements de nature théologique morale et sociale. Elle occupe une place éminente et transversale dans tous les textes conciliaires et pontificaux de la Doctrine.
Le travail
En lien avec la famille, le travail est largement traité de Léon XIII à Paul VI. Mais c’est Jean-Paul II dans Laborem Exercens (sur le travail humain, 1981) et dans Centesimus Annus (centenaire de Rerum Novarum, 1991) qu’il est analysé en tant que tel : le sens du travail, le droit qui doit le réglementer, l’importance de l’emploi et de ses modalités qui doivent toujours respecter la personne au travail.
L’économie
Elle est très largement analysée par la DSE. À la base une anthropologie humaine fondamentale qui place l’homme au centre. L’économie est faite pour l’homme et non l’homme pour l’économie. L’analyse porte sur les systèmes économiques, les acteurs économiques et les leviers économiques. Au-delà des analyses techniques la Doctrine a des approches spirituelles, éthiques, idéologiques, et sociologiques. Elle a intégré les évolutions constatées au fil des époques. Mais c’est incontestablement Vatican II, Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI qui procédèrent aux analyses les plus pointues.
Le développement
Aux notions de « croissance économique » ou de « progrès » la Doctrine sociale oppose la notion de « développement ». C’est Paul VI, dans Populorum progressio (sur le développement des peuples, 1967), qui préconise un « développement authentique » (favorable à l’homme), « intégral » (tout l’homme et tout homme), « solidaire » (toute l’humanité) et « plénier » (un humanisme ouvert à Dieu).
Jean-Paul II dans Sollicitudo Rei Socialis (sur la question sociale, 1987) analyse les liens entre « développement » et transcendance, et déclare dans Centesimus Annus (1991) : « l’autre nom de la paix est le développement ». Benoît XVI dans Caritas in veritate (2009) replace « le développement humain intégral » dans la charité et la vérité.
L’écologie
Pour l'Église, les relations entre l’homme, la nature et Dieu ont une dimension transcendante, car c’est Dieu qui a confié à l’homme sa création. Au fil des pontificats seront évoqués « l’écologie humaine » (conditions morales et urbanisation) et « l’écologie sociale » (conditions du travail). Le pape François déclare « nous sommes gardiens de la création ».
La communauté politique
La doctrine sociale distingue « la personne humaine », « la société civile » et la « communauté politique ». La « personne humaine » du fait de sa vocation communautaire doit vivre dans le cadre de la « société civile », c’est-à-dire une société ouverte au bien commun, à la démocratie, au principe de subsidiarité, de solidarité, de participation, de justice dans la charité. Il appartient à « la communauté politique » d’assurer le bon fonctionnement de l’ensemble dans le cadre des institutions.
La communauté internationale
La doctrine sociale traite des peuples et des nations, donc de la communauté internationale, avec le même intérêt qu’elle porte à la personne humaine.
La paix
La paix est une valeur et un devoir universel dont l’épicentre est « la personne humaine ». Le Christ est Prince de la Paix.
Les droits de l’homme
En délicatesse avec la Déclaration des droits de l’homme de 1789, l’Eglise néanmoins depuis ses origines n’a pas cessé de se référer au respect de la personne humaine. À l’époque contemporaine, il en va de même : Léon XIII évoque la dignité de l’homme (RN), Pie XI traite des droits de la personne humaine (DR), Vatican II solennise la dignité de la personne humaine (GS), Jean-XXIII souligne avec certaines réserves la portée de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (PT), Jean-Paul II à son tour, intègre dans une large mesure les droits de l’homme, recentrés dans une perspective chrétienne. Il insiste par ailleurs sur les risques de non-effectivité de ces droits et il déplore l’écart permanent entre la lettre et l’esprit (RH et CA)
La culture
Vatican II donne une définition très large de la culture. « La culture désigne tout ce par quoi l’homme affine et développe les multiples capacités de son esprit et de son corps » (GS). Jean-Paul II voit plus large encore. Il appelle de ses vœux la culture de « l’État de Droit » articulé autour du bien commun, des droits de l’homme et de la démocratie. Néanmoins la Doctrine sociale met en garde contre les dérives qui risquent de conduire à une culture vidée de tout contenu éthique et spirituel, et donc de vérité.
La morale
La morale est le pivot de l’ordre social et repose sur trois niveaux : la loi naturelle qui vient de Dieu, la loi morale qui inspire la conscience et la loi sociale ou civile qui décline les cadres juridique, social et politique. Jean-XXIII dans la ligne de toute la doctrine sociale déclare : « a vie en société doit être considérée avant tout comme une réalité spirituelle» et «l’ordre propre aux communautés est d’essence morale». Jean-Paul II dénoncera «les structures de péché» dévastatrices pour le bon fonctionnement des sociétés. Benoît XVI insiste sur l’éthique, c’est-à-dire sur les fondements de la morale (CV).
La civilisation
La doctrine sociale rappelle que c’est le Christ qui a inauguré «une nouvelle civilisation chrétienne» (DR), que malheureusement la civilisation moderne a pris ses distances vis-à-vis de Dieu et que seule une nouvelle culture reposant dans le Christ peut être viable. La Doctrine sociale appelle de ses vœux «une civilisation de l’amour», «un amour miséricordieux», «une option préférentielle pour les pauvres», «le respect intégral de la personne humaine», «un développement authentique, intégral et solidaire des nations et des peuples».
Ces éléments et d'autres sont développés dans mon livre :
« Parole et action sociales de l'Église » (Parole et Silence, 2014)